»-. Il était resté des heures dans ce boyau infernal creusé par les obus de 75, au milieu des membres épars, des tripes et des têtes arrachées de ses compagnons, une escouade entière expulsée, avec une brutalité sans nom, d’un monde dont la dernière trace d’ordre était la régularité des obus continuant à tomber sur des avenirs avortés. Chute lente, ponctuée de coups sourds se répercutant sans écho sur un plafond de nuages sales sous lesquels les oiseaux eux-mêmes avaient renoncé à voler et attendaient, accrochés sur des troncs décapités ou fendus.
Pendant des heures, l’horloge meurtrière des canons avait battu la mesure du carnage et de la mort, tandis qu’il restait là, ahuri, accroché par la ceinture au-dessus d’un cratère au fond duquel les rats, sourds au vacarme, s’attaquaient aux corps éclatés de ses amis, dont certains poussaient, au milieu de l’incompréhension formidable de l’univers, de faibles gémissements terminés en gargouillis.
Au loin, dans les ressauts à peine marqués de la plaine flamande, les vapeur amenés par le vent de la mer du Nord se déversaient sur des landes labourées d’acier et mouillées de sang. Avec la lenteur toujours insupportable des sauveteurs, la nuit était venue. Sous la lumière faible d’un couchant malheureux, les ombres s’étaient allongées au-dessus de l’immense charnier, dans le Dies Irae des trêves de bataille, avec les derniers éclats des mines et les cierges allumés des fusées éclairantes. » Jean- Louis Magnon ( Hautes Terres)
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