»-. Lorsqu’elle consultait un ouvrage particulièrement fragile, fragilité qu’elle devinait tout de suite à l’état du papier, qui était alors d’une transparence ivoirine, avec des marbrures rosâtres comme certaines peaux de vieillards, Docile enfilait des gants pour tourner les pages sans les abîmer. Ces gants de couleur gris cendré, qui lui montaient presque jusqu’aux coudes, avaient appartenu à une chanteuse d’opéra.

Ils sentaient encore le patchouli et la poudre de riz, et la face supérieure du gant droit, à la place que les admirateurs de la cantatrice avaient effleurée de leurs lèvres, montraient une auréole plus sombre, qui avait un peu la forme de la lune quand elle décroît. Docile en déduisait que ces admirateurs étaient entrés dans la loge de la cantatrice avec la bouche encore grasse des gourmandises de l’entracte.
Alors, gantée ou non, elle évitait désormais de tendre sa ✋ à baiser. D’ailleurs, si elle l’avait offerte, ses clients ne l’auraient pas prise. Tous, même les vrais érudits comme le professeur de grec du collège, étaient finalement des hommes d’une grande simplicité, n’ayant jamais pratiqué le baise-main, et ne connaissant ce genre qu’à travers les films qu’ils allaient voir le samedi soir au cinéma. » Didier Decoin (Docile)
😊🖐🏽
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Quelle histoire! Joli portrait, plein de fantaisie!
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