L’art difficile de dégrader Venise

 »-. Ils doivent faire exprès d’entretenir la dégradation de leur ville. Avec des soins jaloux, en secret, quand les touristes sont partis, ils écaillent les fenêtres et surgit la brique rose. Rouillent une grille, grignotent une porte de Palais et y déposent des mousses. Délavent les rideaux de la Cà Rezzonico jusqu’à ce qu’ils atteignent le rose tué, une couleur parfaite. Affaissent les toits et les pavements des places, passent au brou de noix les poutres savamment pourries et même mutilent, d’une aile ou d’une plume, les anges des églises.

50x50cm « Palazzo« , vendu, galerie La meilleure façon d’habiter

C’est un travail d’art patient et infini. D’innocents donateurs étrangers signent des chèques en vue de sauver Venise mais ignorent que la belle s’applique à dépérir. C’est un art difficile de dégrader une ville et de l’aider à mourir de beauté. Les Vénitiens, depuis des siècles, y sont passés maîtres. Les Japonais vous diront qu’il n’est pas à la portée de tout le monde de laisser, dans un vase, se faner élégamment des fleurs jusqu’à leur dernière défaillance, juste avant la pourriture. Une attention subtile et une longue éducation de l’œil sont nécessaires. » Jean Cau (Croquis de mémoire)

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