»-. Dites-moi, avez-vous la taille 50 dans ce modèle, avec 37 d’encolure ?-. Il eut un haut-le-cœur ! Il se retourna violemment. Et regarda cet homme rasé de près, que rien dans la vie n’avait jamais éraflé, qui portait un chapeau de beau feutre, une cravate sur une belle chemise blanche. Comment ? Il y avait des gens qui moisissaient dans les tranchées, d’autres dont on déchargeait les corps dans des fosses communes, dans des trous à ras du sol qu’on creusait à grand peine dans la terre glacée du Pôle Nord. Il y avait des gens qu’on mettait dans les camps une première, une deuxième, une troisième fois. Il y avait des gens qui se figeaient de froid, emmenés en convois sous escorte. Des gens qui, pioche en ✋, suaient sang et eau, gagnant juste de quoi s’acheter un gilet chaud tout rapiécé.

Et il y avait ce gommeux qui se rappelait non seulement la taille de sa chemise, mais le numéro de son encolure ! C’est ce numéro d’encolure qui l’avait achevé ! Il n’aurait jamais pu imaginer que l’encolure, elle aussi, pût avoir sa taille à elle ! Étouffant un gémissement de blessé, il s’éloigna du rayon des chemises. Il ne manquait plus que la taille de l’encolure ! qu’avait-il à faire d’une vie si raffinée ? À quoi bon revenir dans cette vie ? Se rappeler son encolure, c’est forcément moi oublier d’autres choses ! Et des choses plus importantes ! Cette histoire d’encolure lui avait tout bonnement coupé les jambes… » Alexandre Soljenitsyne (Le Pavillon des cancéreux)
Beau tableau, dans le style angoissant !
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