Le grand jardin sauvage

 »-. Dès l’abord, le grand jardin que protégeait la haie de buis lui parut dans un état d’abandon total. De ce qui avait été, dans d’autres temps, ratissé, taillé, tiré au cordeau, ne restaient que quelques plantes à massifs anarchiques, des buis qui avaient depuis longtemps perdu leur aspect de boules ou de pyramides, et quelques rosiers qui s’évertuaient à fleurir au milieu de ce désastre en dégageant des parfums à la fois en accord avec la matinée, et contrastant avec le négligé de l’endroit. En avançant au milieu de ce qui avaient été des plates-bandes, et que longeaient seulement désormais des sentiers étroits et couverts d’herbes, il arriva devant un plan d’eau, un grand bassin entouré de bambous et de massettes, à la surface duquel flottaient de larges soucoupes de nénuphars.

40x50cm « Vibrations dans le jardin aux nénuphars« 

Dans tout le jardin, il n’y avait plus le moindre espace qui fût entretenu. Pourtant, ce n’était pas une idée de désolation qui s’imposa alors qu’il contemplait ce spectacle. La ruine du lieu, qui avait commencé depuis un bout de temps, ne portait pas à la mélancolie. Il mit ce sentiment étrange sur le compte de l’allégresse de la matinée. Il y avait peut-être aussi le fait qu’apparaissaient avec évidence, ici, les prémices du retour de ce lieu à son origine. Si cela continuait ainsi, bientôt tout reviendrait à l’état de nature. Et au milieu des grandes herbes ne subsisteraient que quelques arbustes, et cette statue. Un jour de grand vent, elle chuterait de son socle, et se briserait avant d’être enfouie sous les mousses et les feuilles d’automne. » Jean-Louis Magnon (Le Mas des Peurs)