»-. La Peste ? La Peste ? Je ne sais même pas de quoi tu parles, vieux ! Qu’a-t-elle changé, la Peste ? Cette ville charognarde où s’entassent cadavres et rescapés est pavé pour pavé ce qu’elle était hier. La Peste, c’est ni mieux ni pire que d’habitude. Elle rend visible ce qui est, voilà toute la différence. Elle déballe au grand jour ce qui pourrissait dans les caves. C’est un déballage, un bazar, et rien d’autre. La grande machine à déchiqueter le pauvre monde ne chôme jamais. Voilà simplement qu’elle s’emballe, et que halètent les axes et les bielles, que sifflent courroies et poulies, que rugissent chaînes et tourillons !

Et, vous qui ne prêtez pas l’oreille aux os qui craquent et pètent comme bois sec sous la sujétion quotidienne, vous vous offusquez aujourd’hui du grand broyage ? La haine entre pauvres et riches, ne l’aviez-vous pas vu rôder et grogner par les rues ? Ils crient papa et maman, ceux qui voient leurs maîtres boucler leurs malles et les laisser crever entre eux de famine et d’infection. Ils crient papa et maman à les voir emmener avec eux médecins, apothicaires, chirurgiens et barbiers ! Gardez bien la ville, mes enfants, nous reviendrons après la fête ! Ha ! Non, décidément, amis, la Peste n’est ni mieux ni pire que d’habitude, elle rend visible ce qui est, la haine à mort, le mépris, l’indifférence. Tu veux me voir gémir et larmoyer, vieux ? Je n’avais pas besoin de la Peste, moi, pour soulever le voile. » Christiane Singer (La mort viennoise)
Une situation difficile ! Belles couleurs sur ce tableau.
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