»-. Je demeurai debout, au milieu de la pièce, vacillant, comme frappé. Je pensais à ma vie, je regardais ma vie. Non, on ne remonte pas un tel courant de boue. J’avais été un homme si horrible que je n’avais pas un seul ami. Mais, me disais-je, n’était-ce pas parce que j’avais toujours été incapable de me travestir ? Si tous les hommes marchaient aussi démasqués que je l’ai fait pendant un demi-siècle, peut-être s’étonnerait-on qu’entre eux les différences de niveau soient si petites. À vrai dire, personne n’avance à visage découvert, personne.

La plupart singent la noblesse, la grandeur. À leur insu, ils se conforment à des types littéraires ou autres. Les saints le savent, qui se haïssent et se méprisent dès qu’ils se voient. Je n’eusse pas été si méprisé si je n’avais été si livré, si nu. Telles étaient les pensées qui me poursuivaient, ce soir-là, tandis que j’errais à travers la pièce assombrie, me cognant à l’acajou et au palissandre d’un mobilier lourd, épave ensablée dans le passé d’une famille, où tant de corps, aujourd’hui dissous, s’étaient appuyés, étendus. Les bottines des enfants avaient sali le divan lorsqu’ils s’enfonçaient pour feuilleter le Monde Illustré de 1870. L’étoffe demeurait noire aux mêmes places. Le vent tournait autour de la 🏡, brassait les feuilles mortes des tilleuls. On avait oublié de fermer les volets d’une chambre. » François Mauriac (Le nœud de vipères)
Des pensées sombres ! Joli intérieur de maison sur ce tableau.
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