»-. Un long tombereau, qui paraissait plus chargé encore que le précédent, s’avançait en brinquebalant. Comme chacun à part soi s’étonnait de ne pas voir s’écrouler sous les secousses le précaire édifice de ce chargement, déjà, un corps se détachait des autres et restait un moment suspendu par un pan d’étoffe à une saillie de planches avant de rebondir sur la chaussée. Le mort s’abattit sur le dos, jambes en équerre, un bras jeté en arrière, livrant à la vue le creux de son aisselle où s’étalaient, trouées d’abcès, des ecchymoses noires et rouges.

Un ramasseur lança le cri convenu pour stopper le convoi. On entendit le oh ! du cocher qui retenait ses haridelles. Cette nouvelle secousse entraîna la chute d’un autre corps, une glissée lente cette fois. Ce fut d’abord la tête qui chavira, puis les cheveux s’échappant de la coiffe lâchèrent d’une seule coulée leur flot mordoré. Et dans une torsion d’une grâce à vous nouer les gorges, le corps entier serpenta avant de heurter le pavé. Entre les lambeaux déchirés de la jupe, on entrevit un court instant l’éclair nacré de la cuisse, la mousse blonde du pubis. Ceux qui se tenaient là crispaient les poings et les mâchoires. Et Johannes, hagard, reconnut Lotte. » Christiane Singer (La mort viennoise)
Des temps sombres ! Un portrait original.
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