»-. La guerre l’enthousiasmait. Il avait peur qu’elle finit avant qu’il eĂ»t atteint ses dix-huit ans. Lui qui, autrefois, n’ouvrait jamais un đ·, il dĂ©vorait les ouvrages spĂ©ciaux, Ă©tudiait les cartes. Il dĂ©veloppait son corps avec mĂ©thode. Ă seize ans, c’Ă©tait dĂ©jĂ un homme, un homme dur. En voilĂ un qui ne s’attendrissait pas sur les blessĂ©s ni sur les morts ! Des rĂ©cits les plus noirs que je lui faisais lire touchant la vie aux tranchĂ©es, il tirait l’image d’un sport terrible et magnifique auquel on n’aurait pas toujours le droit de jouer. Il fallait se hĂąter. Ah ! Qu’il avait peur d’arriver trop tard ! Il avait dĂ©jĂ dans la poche l’autorisation de son imbĂ©cile de pĂšre.

Et moi, Ă mesure que se rapprochait le fatal anniversaire de janvier 1918, je suivais en frĂ©missant la carriĂšre du vieux Clemenceau, je la surveillais, pareil Ă ces parents de prisonniers qui guettaient la chute de Robespierre, et qui espĂ©raient que le tyran tomberait avant que leur fils passĂąt en jugement. -. Ce pauvre petit, ce serait bien triste Ă©videmment, mais lui, du moins, ne laisserait personne derriĂšre lui…-. Je reconnais qu’il n’y a rien de scandaleux dans ces paroles. Luc, lui, n’a pas eu de tombe. Il a disparu, c’est un disparu. Je garde dans mon portefeuille la seule carte qu’il ait eu le temps de m’adresser. -. Tout va bien. Reçu envoi. Tendresses -. Il y a Ă©crit Tendresses. J’ai tout de mĂȘme obtenu ce mot de ce pauvre enfant. » François Mauriac (Le nĆud de vipĂšres)
Un poisson original, pour cette triste histoire.
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