Propagande électorale

 »-. Quand j’eus huit ou neuf ans, mon père songeait à la politique. Une belle vie commençait pour moi. Dans les villages, la salle d’école, vidée l’heure d’avant, offrait aux auditeurs ses bancs usés. Une torpeur consternée, puis des applaudissements timides saluaient la fin de la causerie instructive. Un maire chaussé de sabots félicitait mon père. La jument attelée, noire dans le noir, hennissait vers nous et, dans le halo d’une des lanternes, tournait l’ombre cornue de sa tête… Mon père, magnifique, ne quittait pas ses mornes évangelisés sans offrir à boire, tout au moins au conseil municipal. Mon père n’acceptait que de l’eau gazeuse, tandis que sa fille… -. Cette petite demoiselle va se réchauffer avec un doigt de vin chaud !-. Un doigt ? Le verre tendu, je savais commander. -. Bord à bord– et ajouter -. À la vôtre !-

Ma courtoisie rurale déridait les buveurs. Dix kilomètres, parfois quinze, un vrai voyage sous les étoiles du ciel d’hiver, au trot de la jument bourrée d’avoine… Les premières fois, au retour, ma prostration béate étonna ma mère, qui me coucha vite. Puis elle découvrit un soir dans mon regard une gaité bien bourguignonne, et dans mon haleine le secret de ma goguenardise, hélas !… La victoria répartit sans moi le lendemain, revint le soir et ne repartit plus. -. Tu as renoncé à tes conférences ?-, demanda, quelques jours après, ma mère à mon père. Il glissa vers moi un coup d’œil mélancolique et flatteur. – Parbleu ! Tu m’as enlevé mon meilleur agent électoral !- » Colette (La 🏡 de Claudine)