Un impressionniste nommé Cézanne

 ». Cézanne est impressionniste au départ -il cultive sa petite sensation – et il le reste toute sa vie, lorsqu’il module, lorsqu’il note la valeur de touches dégradées sur un corps, ou lorsqu’il saisit sur nature, devant un lointain, la dégradation des tons qui estompent, mais conservent les formes et la profondeur. Mais, en même temps, lorsqu’il remplit ainsi jusqu’au bout et d’une façon plus active peut-être que tout autre le programme de ses années de jeunesse, Paul Cézanne élabore simultanément un autre style, promis à de beaucoup plus grands lendemains.

Le pas décisif est franchi le jour où Cézanne renonce à ramener au cube scénographique l’ensemble de ses compositions. Son rôle personnel est d’avoir découvert la valeur autonome, pour ainsi dire, de l’objet, ou plus exactement du fragment de réalité sur lequel se fixe son attention passionnée. C’est lui le premier, avant Degas, qui transfère la notion de la structure plastique, du domaine de l’ensemble dans celui du détail. Pour Cézanne, en particulier, il reste vrai de dire que son rôle personnel a peut-être dépassé celui de ses compagnons. Parti d’une vision impressionniste, du culte de la sensation –aiguë, disait-il, au point d’en être intolérable -, il oppose à cette agressivité envahissante de la nature la force de son choix, la volonté de dominer la sensation. Pour construire non plus un univers d’imitation et de révérence, mais un monde, limité, organique, fragmentaire, et significatif.

Pendant des générations, on a soigneusement distingué les objets maniables et les objets généraux de la nature, insaisissables autrement que par la vue. Voici que tout à coup, un homme vient et renverse tout… Il voit la pomme comme insaisissable et la 🗻 comme un objet maniable et déformable à volonté.  » Pierre Francastel (Études de la sociologie de l’art)