Dans le miroir d’Akwaba

 »-. Enfant, on se moquait de la maigreur d’Akwaba, de ses manières gauches, de ses traits aigus à l’expression farouche. Son père, le chef du village, lui avait donné ce nom béni car elle était sa première-née, mais pas un jour ne se passait sans qu’il ne se lamentât sur le physique ingrat de la pauvre petite. Dans les miroirs apportés par les Blancs, elle voyait une drôle de face de 🐱, avec des yeux de 🐱, de hautes pommettes de 🐱, des cheveux couleur de chaume bouffant de chaque côté de la tête, là où on se serait attendu à voir deux oreilles de 🐱. Sa beauté éclata à l’âge de vingt ans. Les contours osseux du visage s’estompèrent, le torse étroit s’épanouit, les reins se creusèrent et les hanches s’arrondirent. Sa taille prit une délicate finesse, sa démarche, une ondulation féline. Le 🐈 maigre se mua en une superbe, fascinante panthère.

À l’époque, ignorante des choses de l’amour, elle ne s’intéressait qu’à la poterie. Des heures durant, elle modelait les figurines et les urnes, y peignait les motifs rituels rouges, blancs et noirs, en chantant tout bas, pour elle seule. Elle connaissait l’histoire terrible de sa lignée, sa mère l’avait initiée. Comme ses aînées, elle avait pleuré, crié, vomi des injures et maudit les siens. Et puis, comme elles, Akwaba avait fini par se faire une raison. La vie continuait. Mais un grand dessein l’habitait. Elle voulait devenir artiste, une immense artiste à l’exemple de son aïeule la première Akwaba qui avait créé tant d’objets magnifiques en terre, coquillages, sisal et bois. Elle voulait se hisser, par l’intelligence et le travail acharné, au-dessus de l’univers étroit de la tribu. Elle voulait forcer le destin. Rien d’autre ne comptait vraiment. » Marie-Reine de Jahan (L’or des îles)