Les impressionnistes ont-ils vraiment renversé la table ?

 »-. Je ne suis pas convaincu que les purs luministes aient autant innové qu’on l’a dit dans le domaine du maniement des couleurs. Tout le monde va répétant que que les Impressionnistes ont peint les ombres vertes et bleues. Ils ne sont cependant pas les premiers à avoir senti la nécessité de placer des figures ou des taches de couleurs -des valeurs – indispensables à la configuration suggestive de l’œuvre d’art. Les hommes de la Renaissance plaçaient, eux, des draperies sous leurs nus ou autour des objets pour édifier la marqueterie, le compartimentage de couleur de leurs toiles, d’où résultait une partie importante de leur signification.

Tel ton marque l’éloignement (le vert), et on peut exprimer le lointain, la profondeur, indifféremment par des feuillages, par exemple, ou des étoffes. Tel autre marque le repos (le bleu), tel autre le mouvement (le rouge). Il existe tout un système de reproduction des qualités par la couleur qui, progressivement, s’installe. Donc, si les Impressionnistes, à un moment donné, entourent leurs figures de plein air d’ombres colorées, peignant l’herbe verte ou bleue -par exemple dans Les Femmes au Jardin, de Monet -, au lieu de poser leur modèle sur une étoffe, ils n’introduisent en réalité qu’une mince nouveauté. Ils ne changent pas les fondements de la représentation plastique, en particulier de la suggestion de l’espace. Tout simplement, ils substituent une astuce à une autre.

Les impressionnistes renversent la donnée du problème. C’est la forme qui cède le pas. Le contour de la tâche colorée l’emporte sur le contour des objets. » Pierre Francastel (Études de la sociologie de l’art)