»-. Comme tout le monde, il avait souvent compulsé, d’une ✋ parfois distraite, ces journaux illustrés de la guerre, qui offraient au monde un tel résumé d’horreurs qu’il ne semblait pas croyable que personne en pût supporter la vue. Dans ces journaux illustrés, dont certains se vantaient de payer n’importe quel prix les documents intéressants, il lui était arrivé de tomber sur les images d’une exécution capitale. L’homme, la tête basse, les ✋ liées, une dernière cigarette aux lèvres, marche entouré de ses bourreaux. C’était à croire qu’il ne pouvait y avoir d’exécution capitale sans ce sourire-là ! Qui donc, tout à l’heure, sourirait ? Venait ensuite l’exécution proprement dite, l’homme à genoux devant le poteau, les yeux bandés. Ensuite enfin, pour conclure, le défilé des troupes devant le cadavre.

Il avait regardé ces images sans émotion, mais avec le sentiment que cela ne le concernait pas directement, or… Il lui arrivait, comme à tant d’autres, une aventure à laquelle il n’était pas préparé. Il était au spectacle, commodément installé dans un fauteuil, et voilà qu’on le priait durement de vider son siège, de grimper en scène, d’y traîner avec lui sa femme et son fils. Il n’avait pas prévu cela. Naïvement, jusqu’au 2 août 1914, il avait pris la vie pour un conte. On exigeait aujourd’hui, fouet en ✋, qu’il prit au jeu une part active, sans même demander s’il avait au moins appris un petit bout de rôle. Mais il ne savait rien, il voyait seulement qu’il ne s’agissait plus de spectacle, que la comédie tournait au drame, que la balle était une vraie balle, l’épée vraiment teintée de sang, le mort un vrai mort. On fusillait les espions. Soit ! Mais on ne lui avait pas dit qu’on fusillait aussi les insurgés, ni même qu’il y en eût. » Louis Guilloux (Le sang noir)
Un portrait énigmatique pour illustrer cette histoire difficile.
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