Mes expériences culinaires au fond de la classe

 »-. Une reinette chassée, déconsidérée, renvoyée. J’ai toujours été renvoyé. Renvoyé des enfants de chœur, de l’école communale et de tous les établissements scolaires où l’on m’avait donné pour surnom la fouine rieuse. Pourquoi la fouine ? Je n’ai rien de rusé. Je suis plutôt bêta, le bêta rieur. Au lycée Molière, à Clermont, j’avais fondé la Compagnie des Rapporteurs du Fond. Le fond de la classe. Évidemment. Il s’agissait de tromper l’ennui des cours par un pique-nique ininterrompu. Des rapporteurs en fer-blanc fournissaient les couverts. On mangeait quoi ? De la terrine. De quoi se retrouver dans le bureau du proviseur, et blâmé. Le professeur de musique s’appelait Mademoiselle Biribi, Giselle Biribi, une vieille. Je transformais ses cours en cérémonies gastronomiques, encouragé dans mes travaux culinaires par le fils du pharmacien.

Il m’avançait l’argent pour les produits, je le remboursais sur la vente. Je me suis fait prendre un jour. Et même vilain. Nous pendions la crémaillère en cours de géographie, une gourde en peau qui contenait du vin rouge circulait au fond de la classe. Moi, je m’affairais à poêler sur un camping-gaz quatre rougets dûment farinés. Et non seulement le ventilateur ne suffisait pas à retenir l’odeur, mais il faisait un bruit d’hélicoptère. En voulant cacher les 🐟 dans mon casier, je me suis brûlé. Blâmé, renvoyé, inscription d’office au lycée technique, section chaudronnerie. Moi qui passais mes 🌃 à lire Molière, Shakespeare. Moi qui me prenais pour Phèdre, Horatio, Camille, voilà que je me retrouvais formant des tôles, en bleu d’ouvrier, parmi les brutes à tête carrée, silencieux comme des 🐻 empaillés. Me faire empailler, voilà peut-être la solution. » Yann Queffelec (Le Maître des Chimères)