Folle Manon !

 »-. Tout grands messieurs que vous êtes, vous ne m’impressionnez point, mes lascars-. Elle les connaissait bien. À l’époque de sa jeunesse, elle avait dansé dans leurs bras musclés, raillé leurs aveux enflammés. Tous avaient brigué ses faveurs, quelques-uns les avaient obtenues, mais jamais pour longtemps. On lui avait prêté un protecteur, les belles affranchies avaient chacune le leur. Mais pas Manon… À la vérité, nul ne savait vraiment qui était Manon, ni d’où elle venait. Elle était apparue un soir de mai 1680, telle une princesse de conte de fées, lors du grand bal annuel. Ensuite, on l’avait vue partout, Reine de toutes les fêtes qui se déroulaient discrètement dans les résidences secondaires des planteurs à Saint-Pierre, et où les dames békées n’étaient jamais invitées.

Ses 👗 de Paris, ses manières raffinées, son éblouissante beauté eveillèrent une curiosité dévorante. Les femmes s’étaient mises à la haïr, les hommes à rêver d’elle. On racontait que Manon se baignait nue dans les criques, qu’elle tirait au pistolet comme un homme et qu’elle ne manquait jamais un beau combat de 🐓. Une fois, elle avait vendu aux enchères une 🌃 d’amour, l’argent avait servi à acheter la liberté d’un vieux nègre et de sa famille. Folle Manon ! Elle riait, posait un baiser parfumé sur une joue rugueuse, tapotait une épaule athlétique, rectifiait une cravate. – Cette femme a cinquante ans passés, et elle irradie l’amour… Elle nous rend nos vingt ans-. » Marie-Reine de Jahan (L’or des îles)