Je fus un enfant triste…

 »-. Pouvez-vous imaginer le martyre que fut mon enfance ? Pourtant, il faut être juste, j’avais une grand-mère, Valentine de Grandpré, la mère de ma mère. Elle vivait avec nous, dans ce 🏰 de l’ Étoile qu’avait fait construire son grand-père, et où elle avait toujours vécu. Elle m’aimait bien. Je me souviens d’une dame vêtue de noir qui ne riait jamais. D’ailleurs, personne ne riait jamais au 🏰 de l’ 🌟. Et me prenait parfois sur ses genoux. Alors, elle me regardait, d’un regard que je n’oublierai jamais. Que cherchait-elle à découvrir en moi ? Quelle tare, ou quelles espérances ? J’avais trois ans quand elle mourut, à cinquante ans. Sa vie n’avait été qu’une suite de catastrophes, et ma naissance même, au lieu d’être saluée comme un heureux événement, avait mis le comble à ses malheurs.

Une ferme touche au 🏰, une belle ferme à toit bas couvert de tuiles. Un pigeonnier dresse à un angle de sa cour son toit pointu aux ardoises bleues. La ferme est silencieuse, maintenant, comme morte, aussi morte que le 🏰, comme si elle n’avait pu continuer à vivre quand le 🏰 ne vivait plus. Je crois vous avoir dit qu’on ne souriait jamais à l’🌟. Ajoutez à cette tristesse de la 🏡 ce sinistre voisinage. C’est le philosophe Ravaison, je crois, qui voulait que les enfants fussent élevés in hymnis et canticis. Voilà, les hymnes et les cantiques ont bercé mes premières années. Des cris de haine, quand ce n’était pas le silence. Et moi, je sentais des regards qui ne me voulaient pas de bien, à part le mélancolique regard de ma grand-mère dont je n’ai pas réussi à percer le secret. » Abel Moreau (Règlements de comptes)