Célébrer le 11 novembre

 »-. Le 11 novembre 1922, toute la commune se réunit sur la place. Les enfants des écoles, rigoureusement rangés sous le regard fiévreux de leurs maîtres et du directeur, attendaient depuis une heure déjà. Cette première cérémonie n’était en rien la célébration d’une victoire. Elle se voulait le témoignage de reconnaissance de la nation à l’égard de ses enfants sacrifiés. Ils étaient tous là, parents, frères, soeurs, promises, épouses, veuves, orphelins, ce peuple paysan vêtu de noir. Il y avait là-bas, près du maire, la veuve Monteil qui avait perdu ses trois fils à Verdun. Et puis la jeune et jolie Emma Bellon, entourée de ses deux enfants en bas âge, pupilles de la nation, veuve le jour de la naissance de son second enfant. Et puis tous ces vieux sans personne pour les soutenir, sans ressources, et sur lesquels la misère portait déjà son ombre.

Jean Tardiveau, né à la ferme de la Grouzetierre, gravement blessé en Argonne et qui n’avait pu reprendre son activité de charron à présent que sa manche droite restait ballante dans la poche de sa veste, avait lu un texte sur le sacrifice de tous ceux dont le nom figurait à la base du monument. Sa voix vibrante, forte, une voix rauque d’homme touché par les gaz, avait dominé les centaines de spectres qui participaient à la cérémonie. Aucun enfant des écoles n’aurait songé à s’impatienter. Une mémoire terrible se gravait dans les corps et dans les esprits, pour un siècle. » Jean-Guy Soumy (Un 🔥 brûlant d’elles)