Mes Regrets… et tope-là !

 »-. L’aîné des Tarassevitch, un violent saturnien, ne craignait plus ni Dieu ni la mort, buvait à tombeau ouvert et subissait passionnément l’invasion des regrets. Il regrettait sa naissance en Egypte, il eût préféré la Russie. Aux gens du village, il se donnait pour natif de Kiev et décrivait son père, Tarass, en guerrier sentimental, anarchiste et patriote, mort selon lui à Leningrad après huit cent jours de siège. Il regrettait son 🐎, Joulik. Il regrettait son métier, l’agronomie. Après son mariage, il avait cessé d’exercer. Il s’était mis à tirer profit des vieilleries en ferraille et autres chaudrons que les paysans, gagnés à l’attrait des nouveautés, voulaient bien lui céder pourvu que l’argent trébuchât comptant. Le schnaps arrosait les tope là ! Le schnaps arrosait aussi bien les regrets, le schnaps arrosait des jours et des 🌃 dont Vladimir disait n’avoir plus que faire et précipitait rageusement sa fin.

Carmilla, sa femme, était son regret le plus fou. Pourtant, sa mère l’avait mis en garde. En garde ! Elle avait failli lui arracher les yeux. -. On n’épouse pas une créature aussi belle, le 😈 n’est pas plus beau, tu ne vivrais plus-. Il ne vivait plus. Même sa mémoire était empoisonnée par le 😈. Il pleurait le souvenir d’une femme qui l’avait torturé de son vivant, le torturait par son absence, et dont la résurrection ne l’aurait pas rendu plus heureux. Mariage d’amour, mariage de haine, mariage de mort, et deux enfants que, pour sa part, il eût volontiers noyées dans les eaux du lac… » Yann Queffelec (La femme sous horizon)