Le cimetière de Fenetrange

 »-. Le cimetière de Fenetrange était une enclave au milieu d’un champ bordant la voie ferrée désaffectée, lopin funéraire et bassin d’échouage où ne pouvaient trouver abri qu’une poignée d’âmes, à en juger par le petit nombre de croix plus ou moins d’équerre et l’exiguïté du terrain qui s’élevait doucement vers la forêt. La loge du gardien ressemblait à la 🏡 d’un garde-barrière, autrement dit faisait l’effet d’un gros jouet. Un attirail de crochets et de cordes était suspendu à gauche de l’entrée. Tita frappa. Le boiteux commença par lui fermer la porte au nez. Ce n’était pas un endroit pour les fillettes, ici ! Les Tarassevitch, il en avait jusque-là. D’abord, qu’est-ce qu’elle venait tarabuster les morts ? À son âge, on filait la romance avec les galopins. -. Je viens voir ma mère, je suis sûre qu’elle est là -. Votre mère ?

-. Et ma mère, elle est enterrée où ?-. Vous comprenez, c’est toute une histoire, et moi, j’ai juré. Mais il y a des soirs où ça fait lourd sur le ❤️. Je n’ose même pas y penser, où on l’a mise, j’ose même plus passer devant-. Où ça ?-. La vieille sorcière, elle voulait pas d’elle, dans son caveau. Faut voir un peu qui c’est, la sorcière ! Elle aime bien qu’on lui fiche la paix. Elle ne veut voir personne, elle ne sort jamais. Et même quand elle sera morte, elle ne voudra voir personne, à part son Vladimir. Et votre mère, c’était la guerre avec elle, c’était la haine entre les deux. Et, quand elle n’est morte, la vieille sorcière n’a pas voulu d’elle-. Et alors ?- Alors, ils l’ont collée dans un trou. Par le fond du cimetière, sous les vieilles fleurs, c’est plein de 🐈 par là. Ils ont rebouché le trou, remis les fleurs, et les 🐱 sont revenus. C’est là qu’elle est. Il n’y a rien d’écrit, pas un mot. Si je mets une croix, Vladimir l’arrache et vient m’enguirlander. Même d’une croix sur sa tombe il est jaloux -. » Yann Queffelec (La femme sous horizon)