Le ⛵ -manoir de BabaYaga

 ». Tarass avait eu l’idée du manoir de Baba Yaga l’année même, il en avait réservé la surprise à sa femme à Noël, elle avait fait une syncope à sa vue… Encore avait-il prudemment dissimulé certains détails historiques intéressant l’enclave au bord du lac, acquise à prix sacrifié, où sa volonté ressucitait la 🏡 perdue. Le terrain cherchait preneur depuis bientôt quinze ans. C’était jadis le bien d’un vieil Anglais, à présent défunt, un lord extravagant terrifié par la mer et fou des ⛵. Les fumets de grand large humés du fin fond des Vosges, le maniement des filins et l’odeur de l’étoupe en pleine forêt, les partances rêvées, sans appareillage, à la faveur d’un étang brumeux, comblaient chez cet original une sensualité que depuis longtemps le goût des femmes n’émouvait plus. Un marin des bois.

Sa propriété regorgeait des fétiches hauturiers que Tarass n’avait pas touchés. Une mâture à barre de flèches haubannée sur la pelouse, une chaloupe de torpilleur, une remise à ⛵ n’abritant que des voiliers d’enfants, par dizaines. Un rouf de goélette où l’on trouvait des éphémérides et des cartes effrangées par les 🐭, dont un grand routier spongieux couvrant les mers polaires, d’Anchorage au Japon. Sans compter, sur la rive, un petit phare au diesel à l’usage éventuel des 🐔 d’eau. Sentant venir la mort et souhaitant parachever sa chimère océanique, il avait mis en chantier un vrai navire, imitant les ⛵ pilotes de Falmouth. Deux ans d’efforts. Le jour du lancement, chamarré d’or comme un amiral, le vieux lord avait amené les couleurs, clos tous les sabords, aspergé d’essence l’intérieur du ⛵, un fût entier. Puis il s’était allongé sur sa couchette et, sereinement, ses yeux bleus regardant à l’horizon défiler la mer, il s’était mis à fumer. » Yann Queffelec (La femme sous horizon)