»-. Souveraine à sa coiffeuse en bois de rose, habillée d’un vieux peignoir de soie mauve aux manches flottantes, la grand-mère se paraît pour le dîner. Elle était septuagénaire, et vaine encore de sa beauté, toujours sensible à ses charmes à peine atteints par l’usure, sa peau douce et blanche, sa maigreur élancée, ses yeux d’un bleu violent dénués d’émotion comme l’azur du ciel ou l’acier des mers. Les poudriers à facettes et capuchons d’or étaient en malachite. En malachite aussi le tube à lèvres, les polissoirs, le verre à dents, le cure-ongles et le manche à biseaux des brosses.

Déveine après déveine, et d’exil en exil, Zinnaïde avait dû revendre ses bijoux hors de prix, 💎, rubis, jais, saphirs ou tourmalines. Elle n’avait pas vendu la malachite et l’or, bracelets, colliers, pendentifs, chaînes, épingles à cabochons. Le vert jaspé des malachites éclatait partout dans ses murs, même autour des photos ovales où des aïeux sans aménité jaunissaient. Sur un secrétaire à cylindre, une plume d’oie trempait dans un encrier vert en malachite, et l’abat-jour tuyauté filtrait un éclairage aux tons verts. Sept oeufs russes à treillis d’or étaient debout sur une étagère où, Bestiaire infime, animaux des eaux et des bois, le homard, le 🐈, le 🦉, la 🦄, la mouche et l’🕸️ jetaient les éclats verts de la malachite. -. C’est presque un péché, mais c’est vraiment le seul…- Le péché gagnait jusqu’à son accent russe, où roulaient des inflexions polies comme des billes en pierre précieuse. Et sûrement rêvait-elle, en s’endormant dans son lit en baldaquin, d’une pierre tombale en malachite aux regrets éternels gravés en lettres d’or. » Yann Queffelec (La femme sous horizon)
Belle histoire ! Joli tableau.
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