Le monde mauvais

 »-. Huit enfants, une femme, et ma mère qui vit encore, et seulement dix roubles par mois de salaire ! De misère, ma femme est comme endiablée. Moi-même, je bois comme un trou -. Sentant que sa 👅 balbutie autre chose que ce qu’il voudrait dire, l’intendant fait un geste désespéré de la ✋ et dit avec amertume. -. Si le monde doit périr, que ce soit bientôt ! À quoi ça sert de traîner et de torturer les hommes pour rien ?-. Le vieux ôte le pipeau de ses lèvres, son visage est triste et couvert de gouttes pareilles à des larmes. Il sourit et dit. -. Quelle pitié, petit frère ! Quelle pitié, oh mon Dieu ! La terre, la forêt, le ciel, toutes les bêtes, tout cela vit, est utile. Dans tout cela, il y a de l’intelligence. Et tout se perd pour rien. Mais c’est les hommes qui me font encore le plus pitié -.

Sur la forêt, se rapprochant rapidement de la lisière, s’abat une forte pluie. Meliton se tourne du côté du bruit, boutonne sa veste et dit. -. Je vais au village. Adieu, grand-père, comment t’appelle-tu ?-. Lucas le pauvre -. Adieu, adieu, Lucas, merci pour tes bonnes paroles…-. Meliton se traînait lentement vers la rivière, il avait encore envie de se plaindre. Tristement, il regardait de tous côtés et ressentait une intolérable pitié envers le ciel, la terre, le ☀️, la forêt. Et quand la note la plus haute du pipeau se mit à vibrer longuement dans l’air et à trembler comme la paix d’un homme qui pleure, il se sentit amer et offensé par tout le désordre qu’il voyait dans la nature. La note haute trembla, s’interrompit brusquement et le pipeau se tut. Cette fine, à peine perceptible beauté de la douleur humaine, qu’on n’apprendra pas de sitôt à comprendre ni à décrire, seule la musique semble devoir l’interpréter. » Anton Tchekhov (Le pipeau)