Séparer le patrimoine culturel de l’ivraie…

 »-. Je ne vous cache pas que cette campagne de presse contre l’immoralité, le vice, la décadence à San Francisco, que vous avez lancée récemment, ne m’inspire rien de bon… Il n’y a pas de semaine que vous ne fassiez vos titres sur la pourriture qui envahit la ville, le retour à l’esprit des premiers Américains, les valeurs de la famille qu’il faut retrouver. Je ne classe pas la Cage aux 🦁 parmi les établissements de débauche, évidemment. D’ailleurs, vous-même, qui me faîtes régulièrement l’honneur… Les San-Franciscains sont des esprits parfois simples. Je crains que vos rédacteurs ne pèchent par manque de discernement. Savent-ils vraiment faire la part des choses ? Séparer l’ivraie du grain ? Distinguer un établissement comme le mien, fait d’une longue tradition de plaisirs délicats, de relations d’amitié et, j’ose le dire, de culture, d’un vulgaire bordel ?

Un homme de goût, Monsieur Kelly, ne saurait laisser la Cage aux 🦁 être la proie de la vindicte populaire -. Chère Maggy, comment avez-vous pu vous méprendre à ce point ? La Cage aux 🦁 fait partie des richesses de San Francisco, de son patrimoine culturel-. Vous en faites trop, Kelly ! -. Notre campagne de presse vise à débarrasser le centre-ville de certains étrangers qui pervertissent les mœurs… Cinquante morts à Chinatown l’an dernier, sans compter ceux qu’on n’a pas retrouvés. Les tripots qui prolifèrent. L’opium qui circule. Des Chinoises de quatorze ans vendues aux enchères… » André Le Gal (Le Shanghaïe)