Les aristos-marins

 »-. Naviguer au commerce, c’est naviguer dans l’aristocratie des marins. Au commerce, rien n’est comme ailleurs, tout est différent. À commencer par le Taracapa, une merveille, un joyau sorti il y a dix ans des chantiers de Nantes. Une coque en acier, un pont en teck du Brésil et une chambre de veille en acajou. Je ne te parle pas de la cabine du capitaine, les parquets sont astiqués mieux qu’au Casino de Dinard, et, sur son bureau, il y a un morceau de cuir vert. Il y pose ses encriers, ses plumes, ses chronomètres personnels, ses livres de route et son 🎻 . C’est un virtuose, il joue une musique que lui seul connaît.

Pas ce qu’on joue d’habitude sur les ⛵, avec le 🎻 aigre et l’accordéon, les jours de fête ou quand on passe l’équateur. Mais une musique nerveuse et triste à la fois, c’est beau. Souvent, les matelots se regroupent près du château arrière, sous la dunette, pour mieux écouter les concerts du capitaine. Ça ne dure jamais longtemps. Le Bosco ne tarde pas à venir, avec sa frimousse de bouledogue. -. C’est pas un équipage, c’est un ramassis de couleuvres qui se croient au music-hall !-. Et d’envoyer deux ou trois matelots en haut des cocotiers, pour vérifier les points de cargue des contre-perroquets. C’est vrai que, maintenant, ça va être mon boulot. Va falloir que je joue au Bosco. Que je devienne le cerbère du bord… » André Le Gal (Le Shanghaïe)