Le mal du pays

 »-. Consuelo, la dernière arrivée, était la petite favorite, forcément. Consuelo, tout le ☀️ de Morelos, la chaleur du Mexique, une beauté rarissime… C’est vrai qu’elle était belle, Consuelo, de longs cheveux noirs, un teint mat et des yeux verts, troublants, qui se confondaient avec les turquoises qu’elle portait en boucles d’oreilles. Consuelo avait la peau bronzée, et une longue cicatrice qui remontait le long de sa hanche. Elle ne dit pas un mot, il ne posa pas de questions. – Une petite merveille. Une beauté, un Tanagra… Et puis, discrète, bien élevée… La familiarité, c’est le pire fléau dans notre métier. Elle sait tenir ses distances. Les clients, autrement, ils ne sont pas longs à tout mélanger, le soulagement et le bonheur, l’étreinte et l’amour, l’extase et le pince-fesses… Consuelo, c’était une hétaïre, une courtisane de la Belle Époque. Une poétesse, dans son genre.

Je retourne chez moi, qu’elle m’a dit. Chez soi, ça n’existe pas, j’ai pensé, mais je ne lui ai rien dit. Ses distances, au fond, c’était de la nostalgie. -. Tu n’as jamais eu envie de retourner à Brest ?-. Mon dernier coup de cafard, il doit remonter à une dizaine d’années. Un matin où tu étais reparti… J’avais regardé ton ⛵ le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon. J’avais envie d’être avec toi, n’importe où, à Saint-Malo ou à Nantes. Mais à Brest, je ne vois pas ce que je pourrais y faire. Cajoler le client ? Très peu, merci. Sans compter le crachin. Les gens d’ici sont tous des pauvres bougres d’exilés, qui ne retourneront jamais chez eux. Le mal du pays est un luxe pour les riches -. » André Le Gal (Le Shanghaïe)