»-. Pas de femme, pas d’enfants ?-. Je suis trop pauvre pour faire vivre une femme et des enfants -. Parle-moi de toi, veux-tu, Tien ?-. Le cyclo le considéra un instant, surpris, de toute évidence, qu’un Français pût s’intéresser à son sort. -. Ma famille était riche, patron. Des paysans, oui, mais nous possédions beaucoup de terres dans la région de Cu Chi. J’ai fait mes études dans une institution dirigée par des religieux de chez vous. J’ai appris beaucoup de choses, notamment à parler votre langue, mais j’ai aussi appris que seules nos âmes intéressaient vos jésuites. Ils voulaient en récolter autant que possible, comme un avare entasse des pièces d’or. Mais ils se souciaient peu de notre bien-être terrestre. Et puis les Français nous ont volé nos terres.

Les Français réquisitionnaient les paysans pour exécuter toutes sortes de corvées, comme de construire des routes. Nous n’avions plus le temps de travailler dans les champs, et, si on délaisse la terre, elle ne peut plus nous nourrir. S’ils avaient été raisonnables, nous les aurions respectés, mais leur attitude allait à l’encontre de l’ordre naturel. Quel gâchis ! -. Vous aviez dit que votre famille a été tuée -. Nous étions riches, nous sommes devenus pauvres. Mon frère est venu à Saïgon, il a acheté un cyclo-pousse avec le peu d’argent qui nous restait. Nous avions prévu, lui et moi, de nous relayer, car nous n’avions pas les moyens d’acheter deux cyclos. Il travaillait ici pendant deux mois. Un jour, au terme de deux mois, il n’est pas venu me remplacer. Il y avait eu des accrochages entre troupes françaises et Viêtminh-. Où vis-tu maintenant, Tien ?-. Dans mon cyclo, patron. Comme ça, pas besoin de payer de loyer…- » Paul Couturiau (L’inconnue de Saïgon)
Belle histoire et beau portrait
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