Viens chez moi, j’habite chez l’ermite

 »-. Rassurez-vous, j’ai violé l’intimité de son sanctuaire, mais, comme tous les ermites, il n’a rien de scandaleux à cacher. Les quelques détails cependant que j’ai relevés m’en ont beaucoup appris sur lui-même. Deux ouvertures s’ouvrent à droite et à gauche de son lit, dans le fond de la caverne principale. Elles donnent sur deux petites salles obscures. Dans l’une d’elles, il y a les réserves de vivres, des dahabiahs en peau d’antilope contenant du mil, et aussi des graines de drinn récoltées à la manière targuia, et puis des barres de sel gemme. Les cultures abandonnées que nous avons découvertes provenaient certainement d’un ensemencement fait par des hommes qui sont venus ici, peut-être avant l’ermite, mais qui sont en tout cas des contemporains. Mais qui étaient ces hommes ?

Une visite à la deuxième chambre devait me fournir d’autres éclaircissements. Là était entassé tout un butin, principalement des tissus. Cotonnades indiennes de ce bleu Indigo cher aux Touaregs, tentures de fatis, plumes d’autruches du Soudan. Et puis des caisses vides ayant contenu du thé. Des instruments ménagers, théières et petits verres, bouilloires, plats de cuivre ciselés du Maroc. Enfin des armes, lances et takoubas touareg, harpons du Niger, vieux fusils à pierre et à chien aux crosses de nacre et d’argent finement travaillées. Et, ce qui est beaucoup plus surprenant, deux fusils Mauser, du type utilisé par les Turcs, une très vieille carabine italienne Beretta, et enfin deux mousquetons de l’armée française, du type couramment employé par les méharistes des pelotons sahariens, avec leurs baïonnettes et leurs chargeurs. Tout ceci sentait la Razzia… -. Rien ici ne trahit la visite d’un Européen, sinon d’un Français… et pourtant cet homme est un Français !- » Roger Frison-Roche (La Montagne aux Écritures)