»-. Le Saint homme rit, et demande que je m’assieds sur le sol, plus près de lui. Il prend ma ✋. À en croire Kemala, il vit là, sur cette natte, sans dormir ni manger depuis des années. -. Vous avez eu une enfance heureuse-. Interloqué, je me fais traduire plusieurs fois la phrase. Non, ce n’est pas une question qu’il me pose mais bel et bien une affirmation. Oui, sans doute a-t-il raison. Je n’avais jamais envisagé la question ainsi. Une enfance heureuse, oui, peut-être est-ce ce que j’appelle une enfance ordonnée. Une enfance dans laquelle il y avait des saisons, un rythme, une harmonie. Un ordre qui renouvelait le paysage, le faisait passer du brun foncé presque noir au vert tendre, puis à un vert éclatant qui envahissait tout jusqu’à l’écoeurement, et dont on subissait chaque été la défaite brûlée avec une certaine satisfaction, un soulagement, presque un sentiment de revanche. Silence. Je pense. Une enfance heureuse, cet homme a raison.

Il a fallu qu’il me le dise pour que je le découvre, car l’enfant peut être dans l’enfance et ignorer le bonheur. L’enfance, une harmonie immobile. Je regardais cette immobilité qui parfois me faisait suffoquer. Je craignais qu’elle n’engloutit toute ma vie. Quelle erreur ! Ce monde immobile n’existait plus. Quel séisme avait donc interrompu les habitudes qui s’étaient perpétuées, modifiées, enrichies ? Sans le savoir, à travers mon enfance, j’observais les derniers vestiges d’une ancienne alliance entre l’homme et la nature. Aujourd’hui, de cette communication, que me restait-il ? » Hugues de Montalembert (À perte de vue)
Jolie histoire
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