L’idiot qui fumait la pipe

 »-. C’était en 1958, l’estomac dans les talons, le ♥️ à ras bord, je m’embarquai à fond de cale pour le Mexique. Puis, du Yucatan, je trouvai passage dans un rafiot de contrebandiers. Il était plein à craquer de cigarettes américaines, des blondes prisées par les dames de la bonne société. À La Havane il faisait chaud, moite. Des filles brunes et fougueuses dansaient le cha-cha-cha sur les trottoirs. Aux terrasses des cafés, on buvait, des vendeurs de billets allaient et venaient, criant les numéros gagnants de la loterie, d’autres proposaient des cigares en bottes, toutes les formes, tous les calibres, tous les prix. Moi, l’idiot, je fumais la pipe. Et, pour la pipe, j’avais besoin d’une blague à tabac et d’un débouche-pipe. Tout un arsenal aussi dérisoire qu’encombrant. J’en avais plein les poches. Plein la bouche. Les gens me regardaient d’un air curieux, ils me prenaient pour un pauvre… un pauvre type évidemment !

Quant à moi, je prenais tous les pauvres pour des riches car, qu’ils soient péons ou éboueurs, veilleurs de 🌃 ou chauffeurs de taxi, ils tiraient tous sur d’énormes cigares en renvoyant des volutes bleutées. Au bout de quelques jours, ma pipe devint vraiment embarrassante. Non seulement elle provoquait l’hilarité, mais encore elle me faisait rougir en même temps que son fourneau. Rassemblant mon courage, je l’abandonnai lâchement dans un cinéma du centre-ville où l’on donnait un film porno. Je hélai l’un de ces petits vendeurs à la sauvette et décapitai du bout des dents la cape suave d’un havane roulé à la ✋. Dès les premières aspirations, je suis qu’entre lui et moi ça allait être à la vie à la mort. Les cigares, depuis, m’ont coûté davantage que mes voyages. Mais qu’importe ! » Jacques Lanzmann (Marches et rêves)