Le rêve et la vérité

 »-. Lama Lakang a dit ceci. -. Il ne s’agit pas d’expliquer le rêve, c’est le rêve qui explique. Souvent, ce qui est considéré comme antagoniste est, en fait, complémentaire -. Il a ajouté que le rêve révèle une maladie mystérieuse du temps. Ce qui suivit me fut totalement incompréhensible. À tout hasard, je lui demandai d’écrire sur un papier, et dans sa langue, la réponse. Plus tard, je rencontrai une ethnologue américaine, Héléna, qui vivait depuis des années dans ces vallées et avait contribué à la première transcription écrite de la langue ladakhi. Elle me traduisit la pensée du lama.

-. Il y a en nous une connaissance anticipée de la vérité, au service de laquelle notre esprit et nos songes travaillent. Sans cela, nous serions dispersés. Tout serait envisagé sur le même plan. Et nous ne pourrions en tirer aucune information, aucune progression. Dans le rêve, il y a une vérification de cette connaissance intuitive de la vérité. Ce travail est la fonction de notre vie, tous nos sens y participent et se mettent au service de cette confirmation. Votre rêve est une vision anticipée de la vérité. Il reflète ce que vous avez découvert en parcourant le monde, une mystérieuse maladie du temps-. J’écoutai sans trop comprendre. Peut-être Lampa Lakang avait-il raison, à dormir à ciel ouvert, on se laisse envahir par des esprits beaucoup trop vastes. La réponse du lama ne m’a pas apaisé. Au fond de moi, il me semble que le temps est détraqué. Le monastère me pèse, empalé sur son idole. Et tous ces hommes qui n’attendent rien, qui vivent hors de tout… J’aurais voulu percer le secret, et je constate que j’en reste exilé. » Hugues de Montalembert (À perte de vue)