Les amours de la veuve et du fringant célibataire

 »-. Pauvre Charlie, il ne se serait jamais consolé d’avoir perdu sa femme Margerie, mais pour elle, avouons-le, cela arrange joliment les choses. Elle a télégraphié ce matin à Gerry, qui a répondu -. Recommande instamment attendre ma lettre, Gerry -. Margerie venait de recevoir une nouvelle dépêche. -. Profondément ému par votre grand malheur. Pense beaucoup à vous. Tendresses. Gerry-. Que va devenir Margerie, s’il la lâche à présent ? Enfin, nous allons voir s’il est un gentleman !-

-. La lettre est là, Margerie dit que je peux vous la montrer. Voulez-vous venir ?-. Au ton de sa voix, je compris, elle me tendit la lettre, je la lis. Elle était fort bien tournée, et Gerry avait dû la recommencer plusieurs fois. À travers ses assurances de tendresse et un soin extrême de ne pas blesser Margerie, sa terreur était manifeste. Positivement, je le voyais trembler dans ses culottes. Pour masquer son affolement, il tournait en ridicule les Blancs de sa colonie. Que diraient-ils en voyant débarquer Margerie ? On ne tarderait pas à exiger son déplacement… Les gens s’imaginent, bien à tort, qu’en Orient on est libre de vivre à sa guise. On y est plus potinier que dans la plus petite ville de province. Il aimait trop Margerie pour l’exposer aux avanies de ces horribles pimbêches. Et d’ailleurs, on venait de l’envoyer dans un poste situé à dix jours de marche. Elle ne pourrait guère habiter dans son bungalow, et il n’existait pas d’hôtel. Non. Vraiment, ce n’était pas la place d’une femme. Oui, cette lettre avait dû être très difficile à tourner. -. Alors, que va-t-elle devenir, c’est si injuste, une si gentille femme. Elle a un ❤️ d’or… Gerry est votre ami, vous l’avez présenté à Margerie. Si elle se trouve dans le pétrin, c’est à vous qu’elle le doit. Vous avez le devoir d’écrire à Gerry, et de lui conseiller de se conduire en galant homme.- » Somerset Maugham (Amours singulières)