Coup de 🗡️ dans le dos

 »-. Je m’étais procuré l’un de ces fameux 🗡️kampas sur le Parkot de Lhassa. J’avais arrêté l’homme d’un geste, montré que son arme m’intéressait. C’était une pièce magnifique, l’âme d’acier trempée dans du sang de Bouddha, manche d’os ciselé, ornementé d’épais fils d’argent. Nous avions conclu l’affaire en deux temps trois mouvements, cent cinquante yuans, le salaire mensuel d’un fonctionnaire. Il était parti heureux, mais désarmé. Moi, armé, et curieusement investi d’un étrange pouvoir. À peine avais-je passé le 🗡️ à ma ceinture que j’eus l’impression qu’il me fouillait les tripes pour en sortir le mal, et m’alléger d’un poids quasiment métaphysique qui me collait aux épaules depuis l’enfance.

D’un côté donc, l’arme m’étripait, de l’autre, elle me soulageait. Aussitôt, je fais des voeux, récitant des prières que je suis seul à connaître, des formules et des incantations magiques, reportant sur le 🗡️ du guerrier kampas la réussite de mon voyage, comme si ma vie dépendait dès lors de la sienne. Je n’eus de cesse, durant cette longue marche, de le surveiller, le protéger, l’entretenir. De lui donner de la ripaille d’agneau et de vautour à découper, des galettes à trancher, des boîtes de conserve à ouvrir, du beurre de yak à tartiner, des morceaux de bois à tailler, des jours à encocher, comme si ceux qui me restaient à vivre dépendaient encore de son pouvoir. Et puis un jour, soudain, l’absence, le vide, plus de 🗡️. Envolé ou volé ? Je ne le saurai jamais. Je remuai ciel et terre. C’était comme si j’avais perdu un être cher, un ami, un peu de moi-même. Je ne trouverai la paix qu’en retrouvant ce 🗡️ kampas. » Jacques Lanzmann (Marches et rêves)