Monsieur le mari de Madame

 »-. Certes, on ne pouvait accuser Albert d’être un raseur verbeux et encombrant. Il ne vous étourdissait pas d’histoires interminables, ni ne vous poursuivait de plaisanteries niaises. Il ne vous assassinait pas de platitudes, et les lieux communs ne hérissait pas sa conversation. Il était simplement ennuyeux. Un zéro. Clifford, lui-même écrivain de talent, pour qui les romantiques français n’avaient pas de secrets, disait que,- si l’on jetait un coup d’👁️‍🗨️ dans une pièce où Albert venait d’entrer, on n’y voyait personne-. Le cercle des initiés avait jugé le trait fort spirituel, et Rose Waterford, la romancière bien connue, s’était risquée à le répéter à Mrs Forrester. Bien qu’elle eût feint d’être choquée, la femme de lettres n’avait pu réprimer un sourire…

Son habitude habituelle à l’égard d’Albert ajoutait au respect et à l’admiration de ses intimes. Quoi qu’on pensât de lui, elle insistait pour qu’on le traitât avec considération. N’était -il pas son mari ? Elle-même se montrait parfaite. Hasardait-il quelque remarque ? Elle l’écoutait avec bienveillance. Allait-il lui chercher un livre, ou lui tendait-il son ✏️ pour noter une soudaine inspiration ? Elle le remerciait avec grâce. Mais, si elle n’admettait pas qu’on le négligeât, elle comprenait fort bien, avec son tact impeccable, qu’il eût été excessif de l’imposer toujours, et elle sortait beaucoup seule. Une fois l’an au moins, ses amis se sentaient tenus d’inviter Albert à dîner. Jamais elle ne fût allée sans lui dans les banquets officiels où elle devait prononcer un discours. Et, à ses conférences, elle prenait soin de lui réserver un siège sur l’estrade. » Somerset Maugham (Amours singulières)