Anonymement peintre

 »-. Je reste, écrivait Cézanne au déclin de sa carrière, je reste le primitif de la voie que j’ai découverte -. L’archaïque, eut-il pu dire. Il y a, dans l’œuvre de ce maître, un caractère impersonnel et général très différent de l’esprit minutieux que les primitifs manifestent, et qui donne à son œuvre un sens dont il n’a lui-même jamais soupçonné l’importance. Quand on présentait à Paul Cézanne un de ses 🖼️ d’autrefois, il ne voulait pas le voir. Et jugeait à part lui fort mal ceux qui aimaient ces choses. Il oubliait ses toiles dès qu’elles étaient sorties de lui. Elles traînaient partout, sous les armoires, derrière les meubles, on essuyait avec elles les poêles et les parquets. Son fils y découpait, en jouant, des fenêtres et des portes. Il les abandonnait quelquefois en plein champ.

Jamais il ne les signait. Il exprimait, comme tous les grands anonymes, une sorte de besoin social dépassant l’individu, pour dresser un de ces essais grandiose d’architecture rudimentaire. Il allait régulièrement à l’église. Catholique sincère, fuyant le prêtre et le cagot, il cherchait évidemment dans le passé l’abri d’une de ces constructions sociales imposantes qu’il ne trouvait pas dans le présent. Rien de moins sentimental ni de moins moral que son oeuvre. Nulle anecdote. Nul désir de plaire ou seulement d’intéresser. C’est un monument métaphysique pur, bâti avec les matériaux sensibles les plus éprouvés et les mieux choisis, mais les plus sommairement taillés du monde. » Elie Faure (Histoire de l’art)