Les visages de Thérèse

 »-. Il est toujours très difficile de dire comment nos personnages naissent. Mais il est certain que, quand je réfléchis sur telle ou telle de mes créatures, je retrouve presque toujours la créature vivante, qui n’est quelquefois qu’une 👥 d’où je suis parti. Ainsi, je l’ai raconté d’ailleurs bien souvent pour mon livre Thérèse Desqueyroux, il y a eu d’abord, entre bien d’autres, la vision d’une dame de Bordeaux qui s’appelait Madame Cabany, accusée d’avoir empoisonné son mari. J’ai assisté à une audience du procès, j’avais alors dix-sept ou dix-huit ans à ce moment -là. Et j’ai gardé le souvenir très vif de cette petite 👥 entre les deux gendarmes dans le box des accusés, de cette bouche mince, de cet air traqué, de son regard.

Ceci dit, le personnage de la dame en question n’avait absolument rien de commun avec mon personnage. J’ai emprunté à son affaire les circonstances matérielles de l’empoisonnement, mais je n’ai pris qu’une 👥. Par ailleurs, je me rappelle que, lorsque j’étais adolescent, combien j’étais frappé par la vue d’une jeune femme qui avait épousé, tout près de nous, un garçon de la campagne, fils unique, très riche et très ordinaire de manières. Elle, par contre, était évidemment une créature ardente et brûlante, ayant probablement le goût des femmes. C’est une chose dont je me suis aperçu des années après, en réfléchissant sur certaines circonstances de sa vie, cet air enfermé derrière les barreaux d’une famille est une chose qui, même adolescent, me frappait énormément. Je crois que c’est de là qu’est venue Thérèse Desqueyroux. » François Mauriac (Souvenirs retrouvés)