En fuite

 »-. Entre les pierres du torrent, la mousse bleuissait, le lichen gris se colorait des lueurs mauves des premières touffes de lavande. Séraphine posa le sac et résista à la tentation de quitter ses brodequins. Ses pieds gonfleraient et elle ne pourrait plus les remettre. Le frottement du cuir contre les chaussettes usées accentuait la douleur de l’ampoule qui s’était formée à son talon gauche. Il faisait froid. Un été était passé, puis un hiver. Elle était restée terrée de longs mois dans les bergeries abandonnées, au 🖤des éboulis du massif des Étoiles, au Pilon du Roy… Elle avait parcouru par les 🌃 pâles les flancs de collines et les crêtes tenues par les maquisards d’Aups et de La Tour-d’Aygues, pourchassés par les miliciens. Elle avait échappé de justesse au massacre de Saint- Antonin, et savait les lieux où avaient été enterrés les corps de ceux qui avaient été ses compagnons de fuite.

Sous la toile du pantalon, elle sentit ses mollets durs et noués, à la limite de la crampe. Elle les massa longuement… Un peu de paix, une halte de quelques minutes entre les blocs de granit dégringolés des sommets… Personne ne pourrait venir la chercher là. Elle connaissait tous les sentiers. En suivant le lit à sec, elle serait à Peydaugue dans moins d’une heure, et elle retrouverait les autres. Elle resterait quelques jours avec eux, et puis il faudrait repartir encore, on ne restait jamais au même endroit plus de quatre jours. Depuis qu’elle avait quitté sa cachette, elle avait pénétré dans le monde de la chasse… Elle ne distinguait plus les uns des autres les hommes qui l’entouraient, ils avaient le même béret, les mêmes musettes aux courroies croisées sur les Canadiennes, les mêmes visages mangés de barbe, les mêmes pistolets dérisoires comme des jouets d’enfants. Ils mordaient de la même manière dans des quignons de 🍞 frottés de lard rance… » Patrick Cauvin (Rue des Bons-Enfants)