La sainte famille des microbes

 »-. D’abord, tu sais bien qu’ils sont juifs, maman a connu le grand-père. Azévédo, celui qui avait refusé le baptême -. Les Azévédo tenaient déjà le haut du pavé lorsque nos ancêtres, bergers misérables, grelottaient de fièvre au bord de leurs marécages -. Voyons, Thérèse, ne discute pas pour le plaisir de discuter, tous les juifs se valent… et puis c’est une famille de dégénérés, tuberculeux jusqu’à la moelle, tout le monde le sait-. Rappelle-moi donc de quoi est mort ton grand-père, ton arrière-grand-père ? Tu t’es inquiété de savoir, en m’épousant, quelle maladie a emporté ma mère ? Crois-tu que chez nos ascendants, nous ne trouverions pas assez de tuberculeux et de syphilitiques pour empoisonner l’univers ?-. Tu vas trop loin, Thérèse, permets-moi de te le dire. Même en plaisantant, tu ne dois pas toucher à la famille -.

-. Nos familles me font rire avec leur prudence de taupes ! Cette horreur des tares apparentes n’a d’égale que leur indifférence à celles, bien plus nombreuses, qui ne sont pas connues… Toi-même, tu emploies pourtant cette expression, maladies secrètes… non ? Les maladies les plus redoutables pour la race ne sont-elles pas secrètes, par définition ? Nos familles n’y songent jamais, elles qui s’entendent si bien, pourtant, à recouvrir, à ensevelir leurs ordures. Sans les domestiques, on ne saurait jamais rien… Heureusement qu’il y a les domestiques !-. Voyons, Thérèse, ne fais pas cette figure, si tu te voyais…-. Je m’amusais, que tu es nigaud, chéri !-. Mais, dans le taxi, comme Bernard se rapprochait, sa ✋ l’éloignait, le repoussait. » François Mauriac (Thérèse Desqueyroux)