Planter, semer, couper, arracher

 »-. Vous savez, toute ma vie j’ai laissé derrière moi appartements, 🏡 et jardins. De la même façon j’ai semé sur ma route ceux que j’aimais, famille, amis, maris, enfants maintenant. Il faut bien que, de temps en temps, je me raccroche à un point fixe, ne serait-ce qu’un pied de lilas ou un massif de 🌹. Née pourvue de biens domaniaux, j’ai construit ma vie sur d’autres préceptes, je me suis attachée à des êtres que j’aimais. Avec désespoir, mais sans en mourir, comme si j’avais toujours su que je ne ferais que passer sur cette terre. Un frémissement d’aile. Et puis plus rien.

Pourtant, j’ai toujours pris soin de ce que l’on me confiait. J’ai lutté de toutes mes forces contre le néant et l’entropie. Chaque jour, j’ai dépoussiéré les meubles, lavé les carrelages et le linge, nourri mes enfants. Chaque soir je les ai bercés, plus tard j’ai vérifié leurs devoirs. Chaque année, j’ai nettoyé mes jardins, planté, semé, coupé et arraché. Et pourtant, je savais que je n’étais pas la plus forte, que les jardins retourneraient à la nature, que les 🏡 s’écrouleraient et que mes enfants mourraient. Je le savais, voyez-vous, mais j’ai continué vaille que vaille. Je le sais avec certitude maintenant que j’ai mis en terre ma fille aînée, que j’ai repris sa 🏡 et ses enfants. Malgré ma douleur, je me battrai jusqu’au bout sans me poser de questions. Sinon, il ne resterait de moi que les larmes que j’ai versées depuis ma naissance, à peine un petit étang au fond du jardin, couronné d’un nénuphar s’il supportait l’eau salée. » Isabelle Hausser (La Table des enfants)